Solenne: “Quand je disais que j’étais Française, le visage des gens s’illuminait”

Avec Solenne, une grande voyageuse et autostoppeuse qui a profité de l’opportunité d’enseigner le français en Russie, au Bélarus (et pas à Minsk mais à Mogilev), au Kurdistan et en Afrique, on continue la série des interviews Minsk et Moi – voire Bélarus et Moi déjà. On y aparle de l’apprentissage du russe, de la vie d’une professeur étrangère à Mogilev et du Bélarus comme destination touristique.

– Pourquoi le Bélarus ? – question banale mais qui des fois fait naître des réponses originales.

Je dirais que je suis allée au Bélarus car j’ai toujours rêvé de découvrir ce pays qui est si proche et pourtant si peu connu. Pour un occidental, le Bélarus est un pays pas cher du tout. Pour moi, c’était différent car j’avais un salaire de professeur bélarusse :). Les formalités d’entrée au Belarus n’ont pas été trop compliquées pour moi.
Mogilev sculpture
– En quelle année es-tu venue ? Sans parler un seul mot en russe ? Sans pouvoir lire le cyrilique ?
Je suis arrivée le 25 octobre 2011 et partie vers le 20 juillet 2012.
Je savais lire le cyrilique. J’avais appris seule. C’est très facile. Et je connaissais quelques mots, genre okno, privet, voda, kot, etc.  En juillet 2011 j’avais passé 2 semaines en Russie (Moscou, Seliger et Piter), donc j’avais pu apprendre quelques mots, essayer de lire, etc. Aussi, quelques années avant, j’ai vécu un an en Pologne et appris le polonais. Ca m’a beaucoup aidé au début.
Indices routiers au Bélarus
Pour moi, le but était vraiment de pouvoir communiquer dans la vie quotidienne avec les gens: au magasin, avec les babushka (grand-mères) de mon obshezhitie (foyer), avec les chauffeurs, etc.
 –  Combien de temps il t’a fallu pour pouvoir parler ? Ou c’est l’immersion dans le milieu qui a aidé ?
C’est venu petit à petit. Après je ne parle vraiment pas bien, je me “débrouille” seulement, mes conversations étaient toujours très simples.  Par exemple je suis une experte du vocabulaire des stolovaya (cantines) hehe. “Хочу хлеб, компот, котлету, кефир…”  (Je veux du pain, une compote, une boulette, du kéfir...).
“Почему не хочешь мяса?”(Pourquoi ne veux-tu pas de viande ?) –
hehe c’était aussi important de pouvoir comprendre ce que me disaient les autres. Les dames de la stolovaya (cantine) étaient toujours en colère si je ne prenais pas de viande.
Cantine pour étudiants à Minsk
Photo: sb.by, cantine à Minsk, 2018
Une fois je ne savais pas quoi manger alors j’ai demandé la même chose que l’étudiant avant moi. C’étaient je pense des saucisses en train de bouillir dans une grosse marmite, avec plein de jus ou d’huile. Alors, la dame a fait une grimace. Ca voulait dire: pas ça. Elle m’a conseillé de prendre une kotlet (boulette). En fait très souvent elles me donnaient des kotlets sans même me demander. J’avais droit à un repas gratuit par jour à la stolovaya de mon obshezhitie. A chaque fois que j’arrivais, toutes les dames se murmuraient discrètement: Есть француженка (La Française est venue). J’étais l’attraction hehe.
 – Cela était un avantage ou pas  trop? En général comment se passait la communication avec les élèves, collègues, locaux…  ?
C’était un avantage certain car tout le monde était très gentil et plein d’attentions pour moi. Par exemple, ces dames, elles me forçaient à manger de la même façon qu’elles forcent leurs enfants à manger 🙂 Très souvent, quand les gens découvraient que j’étais étrangère, leur visage s’illuminait. Ils étaient très curieux 🙂
Symboles de la France
Photo: lachambredessecrets.com/
Avec les élèves, c’était chouette. Certains sont devenus mes amis, mais la plupart étaient très timides, n’osaient pas parler en cours, alors que c’était exactement ce que j’essayais de faire. Je pense aussi qu’ils étaient perturbés car j’étais très différente de leurs autres professeurs. Je ne faisais pas de grammaire et traduction, je m’habillais comme eux, je faisais des blagues, etc.
Avec mes collègues, je pense qu’ils n’ont pas su bien “m’utiliser” pour les cours. Certains se fichaient de ma présence, je pense aussi que certaines avaient peur et me voyaient un peu comme une possible concurrence, d’autres au contraire étaient très contents, on passait des heures à boire du thé dans le bureau et à papoter. Beaucoup de collègues me disaient qu’elles voulaient m’inviter chez elles, le weekend. Je regrette que personne ne l’ait jamais fait. Je ne sais pas si c’est par manque de temps, manque d’argent, pas osé.
– Oh, intéressant.
Avec les locaux, c’était des contacts très brefs mais gentils. Je me suis fait quelques amis comme ça. Je pense qu’en général les gens étaient très timides et, n’ayant pas l’habitude du contact avec les étrangers (j’habitais à Mogilev, pas Minsk), ils ne savaient peut-être pas si j’accepterais une invitation chez eux, d’aller au ballet, etc.
– Est-ce que tu penses revoir notre pays?
J’aimerais revenir au Belarus. Je dois juste trouver du temps et, si je viens, j’aimerais pour longtemps, pour voir tous mes amis et aller partout.
Bélarus paysages
– D’ailleurs, à ton avis, qu’est-ce qui peut attirer les francophones au Bélarus ? Et à quelles contraintes il faut se préparer?
Je pense que c’est un pays tranquille, simple, reposant, joli et différent. Bien-sûr y’a la barrière de la langue. Je ne sais pas si ça a changé en 6 ans, mais peu de choses sont même écrites en anglais, donc ça peut être compliqué pour s’orienter, etc.  Après, au Bélarus, comme en Russie, je pense que la France jouit encore d’une aura particulière, avec plein de gens qui ont lu les auteurs français, etc. Quand je disais que j’étais francuzhenka (Française), le visage des gens s’illuminait vraiment.
Parfois, j’ai des amis qui m’écrivent pour me dire qu’ils veulent aller voyager au Bélarus. A chaque fois que que quelqu’un va y voyager, je mets cette personne en contact avec des amis bélarusses et lui conseille où aller. A chaque fois, ça a été magnifique car tous mes amis bélarusses ont répondu, très vite, donné plein d’info, hébergé mes amis, aidé pour le visa, etc. C’est vraiment génial!
Photo: belarusfeed.com
 – Tes ami(e)s n’étaient-ils ou elles pas déçu(e)s après ?
Non, au contraire. J’ai une amie tchèque qui avait eu un visa d’un mois. Elle y est allée un mois. Elle m’a dit que ses amis l’ont traitée un peu de folle. Et elle a adoré car elle a pu découvrir le pays et les gens en profondeur. Après, il faut être ouvert d’esprit. Cette amie voyage beaucoup, elle avait vécu en Russie l’année précédente, parlait russe…
– Si un touriste vient sans avoir de contacts locaux et sans parler russe, cela peut se finir bien?
Oui, ça peut bien se passer. Y’a des gens qui aiment voyager sans avoir de contacts avec les autres…Ca dépend aussi si c’est un touriste français qui parle anglais ou non. Je suis en train d’imaginer mes parents, seuls, au Belarus hehe.
– Sans parler anglais alors pas possible…
Tout est possible 🙂 Enfin maintenant y’a internet, google translate, trip advisor, la wifi partout, etc.
– 5 jours sans visa c’est suffisant pour la visite ?
5 jours, c’est bien pour une première visite. Le gens pensent souvent qu’au Belarus, il n’y a rien à faire, ni à voir. C’est ce que tout le monde disait à ma copine tchèque. C’est aussi ce que tout le monde me disait quand je suis allée y vivre. 5 jours, ça rassure les touristes, en tout cas c’est génial car ça permet de faire venir des gens qui ne viendraient pas autrement.
– Quel serait le portait général d’un touriste parfait pour venir au Bélarus? Ou portrait moyen de tes amis (âge, métier, hobby, caractère)- ont-ils quelque chose en commun  ?
– Le Belarus n’est pas une île paradisiaque 🙂
Peu importe l’âge, le métier… je pense que c’est un pays pour des personnes curieuses de découvrir un pays mal connu et désireuses d’avoir des expériences différentes.
– Merci beaucoup pour les réponses développées et utiles !
P.S. D’ailleurs Solenne prépare un grand projet avec ses impressions du Bélarus mais on en reparle quand c’est prêt 😉
Photos: faites par Solenne sauf autres crédits mentionnés
Image d’aperçu: mogilev.online